La silhouette ne bouge pas et ne bougera pas.

Elle est loin, et elle est emmitouflée dans un manteau d’hiver, beaucoup trop chaud pour la saison. Je la regarde, de loin. Je ne m’avancerai pas, et moi aussi je resterai où je suis, accoudé à ma table de fortune, la bouteille de rouge à portée de main. Sans verre, il n’y a pas besoin de verre.

Je la regarde, et des fois j’ai l’impression qu’elle me regarde. Je vois ses petits yeux porcins, car ils le sont, j’en suis sûr. Je vois ses yeux de cochon se frayer un chemin vers moi qui ne bouge pas, je vois comme un rictus, et j’en ai un moi aussi : elle ne m’inspire pas grand-chose, au fond, cette silhouette, bordée de brouillard. Elle ne m’inspire rien, en fait. Elle m’occupe, juste le temps de la regarder et de réfléchir au fait qu’elle ne m’inspire rien.

Je vais essayer de la décrire. La tâche est difficile, je ne la vois pas très bien. Elle n’est pas grande. Tout juste dans la moyenne. Pas grosse, pas maigre. Normale. Des fois, j’ai l’impression qu’elle bouge, qu’elle va disparaître dans la brume qui l’entoure et ne plus jamais me regarder. Mais en fait ce n’est qu’un voile de vapeur qui s’est mis entre nous, et qui finit par se disperser. Je ne l’aime pas. Elle ne m’inspire rien, mais je ne l’aime pas. J’aimerais qu’elle parte, j’aimerais qu’elle s’en aille et qu’elle me laisse à moi, à ma table de fortune et à ma bouteille de rouge, mais en même temps sa présence me rassure. C’est bien, les choses qui ne s’en vont pas.

Je crois qu’elle a un chapeau. Je me l’imagine en tous cas avec un chapeau. Et des grandes dents, et un rictus grimaçant. Le rictus grimaçant qu’ont les méchants dans les films hollywoodien. Un rictus de personnage de dessin animé, un des Daltons en proie à l’éjaculation nocturne du siècle. De fait, j’en sais rien, de la gueule qu’elle a. Juste, à mes yeux elle grimace un rire qui fait peur aux gosses. Et elle est laide, certainement. Je ne peux pas la voir autrement que laide, couverte de furoncles et de pustules. Dans ma tête, elle ne se lave qu’au pus et ne se parfume qu’au crottin. Elle ne peut être propre. Elle a toutes les tares du monde, et des fois elle me regarde.

Et moi, je continue à la regarder, et je fais mine qu’elle m’inspire rien, et que je me fous d’elle. Je continue à la regarder, en espérant qu’elle tombe et qu’elle se noie. Je voudrais bien, ça. Elle serait toujours là, mais je ne la verrais plus. Juste un pas, un minuscule pas de plus sur ce ponton moisi d’où elle me regarde. Juste un pas de plus dans ma direction, et elle tombera, et je ne la verrai plus.

La silhouette ne bouge pas.

Devant les yeux

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