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Korsakow
5 mars 2012

La forêt

Je marchais sur des cadavres.

Au début, cela m‘avait gêné, mais, finalement, j‘avais fini par m‘habituer au bruit creux des os que l‘on brise. J‘évitais cependant de marcher sur leur tête. Autour de moi, la forêt devenait de plus en plus sombre, et mon chemin était pavé de cadavres. De cadavres de femmes, nues, et d‘enfants, nus. Pas d‘hommes. Uniquement des femmes et des filles drapées dans des positions grotesques et masquant ce qui avait été une route forestière de leur nudité obscène. Certaines me regardaient, les yeux grand ouverts, et toujours ce même regard d‘effroi. D‘autres, et je leur en était reconnaissant, regardaient à terre. Encore d‘autres avaient tout simplement les yeux fermés.

Et autour de moi, la forêt se faisait de plus en plus dense, et de plus en plus noir.

La route s‘était transformée en chemin, et le chemin en sentier. Je continuai à m‘enfoncer dans la forêt, et elle semblait s‘étendre à perte de vue. Au début, cela avait été un bosquet, et une route forestière. Maintenant, à chaque pas que je faisais, des ronces me déchiraient le visage, et les bras, et les vêtements. Ma peau tombait en lambeaux, sur les cadavres qui faisaient le bruit des os que l‘on brise quand je marchais. Je continuai cependant à avancer. La vision de tous ces morts comme offerts à mon bon vouloir, m‘aurait été insupportable à l‘arrêt, alors je préférais continuer à avancer en trébuchant. Et, pour étouffer un peu ce mal de ventre qui me rongeait, je me répétais sans cesse que les cadavres, c‘était ce qu‘on voulait bien en faire, et que ce n‘était pas moi qui les avais drapé de la sorte. On ne pouvait pas dire que cela m’aidait. Au contraire, leur nudité semblait m’adresser des reproches, de plus en plus de reproches. Leurs sexes, enfantins ou non, semblaient s’adresser à moi, et me répéter que je n’avais rien fait pour les recouvrir, pire, que je profitais bien de la vue qui m’était donnée.

Au fur et à mesure, les reproches devenaient plus vifs, plus incisifs, plus violents, et j’accélérais mon allure, espérant de tout mon cœur que la forêt se termine, et que devant moi s’ouvre à nouveau une plaine verdoyante. Rien n’y faisait, bien au contraire. La forêt se fit de plus en plus dense, et la vision de tous ces sexes et de toutes ces poitrines m’obsédait et m’angoissait encore d’avantage et quand je marchais, cela faisait le bruit des os que l’on brise. Au détour d’un virage, je ne parvins pas à éviter de tomber, et, alors que je rouvrais les yeux après la chute, mon visage s’était retrouvé à quelques centimètres de l’intimité d’une enfant. Je me relevais en vitesse, constatant avec effroi que l’odeur qui en émanait était envoûtante. Je me mis à courir.

Bientôt, je trébuchai à chaque pas, alors même que j’essayais de tomber le moins possible. De plus en plus souvent, mon visage s’écrasait contre les lèvres d’un sexe féminin alors que je continuais ma route, courant aussi vite qu’il m’était possible de courir. La forêt, elle, continuait à s’assombrir, et à s’épaissir, et les cadavres s’empilaient de plus belle, prenant des positions de plus en plus lascives et sexuées. Les bruits aussi changeaient : Je ne sais si c’était dû à la forêt où à ma perception, mais chaque os qui se brisait semblait doubler de volume, et le son qui en résultait m’était renvoyé par les arbres. Les échos, ainsi, s’entremêlaient, et se muaient peu à peu en une cacophonie qui me glaçait le sang.

Et puis la forêt fit place à une clairière. Et au milieu de la clairière, elle aussi parsemée de corps, était un lit. Sur le lit, une jeune femme nue était assise,yeux verts, cheveux bruns. Je l’avais déjà vue quelque part. Je vins vers elle, évitant autant que je pouvais sans tomber de regarder à terre. Elle me regardait sans me regarder, alors même que je n’étais plus qu’à quelques mètres. « Tu dois te demander pourquoi ? », me dit-elle. Je ne répondis pas. J’attendais la suite. Elle s’avança vers moi. Elle était belle. « Si tu ne sais pas pourquoi, peut-être que tu n’as pas encore assez marché. » Je ne disais toujours rien. Elle était maintenant près de moi, et appuya sa tête contre mon torse. « Tu bandes », dit-elle.

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